À propos de l’article de Shedler (2010)
Dans les débats actuels concernant l’efficacité des psychothérapies, il demeure une croyance très répandue selon laquelle les thérapies psychodynamiques, autrement dit la psychothérapie orientée par la théorie de la psychanalyse, n’est pas une méthode efficace.
Cette croyance peut trouver son origine dans les écrits et les travaux parfois véhéments de certains philosophes, documentaristes, chercheurs qui font porter à la méthode psychanalytique le poids des erreurs des psychanalystes.
Même si la qualité rhétorique et l’instrumentalisation dont font l’objet certains de ces documents est parfois bien discutable, il faut surtout reconnaitre que les psychanalystes eux-même, ont joué un rôle central dans les critiques qui leur sont adressées en se montrant orgueilleux, autoritaristes, rejetant parfois toute discussion, toute modernisation de leur pratique, cultivant un langage obscur et difficilement saisissable. Les psychanalystes n’ont pas toujours su rendre leurs pratiques lisibles ou communiquer intelligiblement sur leurs pratiques auprès du grand public, et plus encore, ils se sont souvent éloignés de la recherche scientifique, au point de la négliger, alimentant et profitant un temps de l’atmosphère de mysticisme à propos de leur méthode. Cette attitude récurrente chez certains psychanalystes a eu pour effet de freiner le développement de la recherche sur les thérapies psychanalytiques et leur relai auprès du grand public ; en contre-point, avec l’animosité qui a pu émerger à l’encontre de ces thérapeutes, un grand intérêt s’est aussi développé pour les autres courant, qui ont bénéficié d’un accueil très positif.
Cependant, les actes des hommes ne peuvent servir de preuve visant à discréditer la méthode qu’ils utilisent. Par ailleurs, et malgré les attaques multiples, répétées, qui se parent de l’allure d’arguments d’autorité incontestables dont la force médiatique est indéniable, cela pour faire valoir leur légitimité, il n’en demeure pas moins que la recherche scientifique met en évidence l’efficacité de la psychanalyse depuis plusieurs dizaines d’années.
Nous présenterons ici un article de Jonathan Shedler, qui, en 2010, fait le point sur les critiques adressées à la psychanalyse et dresse un état des lieux des recherches les plus rigoureuses sur le sujet, pour mettre en avant ce que le champ de la recherche sur les psychothérapies appuie depuis longtemps, mais qui semble dénigré par les praticiens et chercheurs d’autres obédiences théoriques dans des logiques parfois plus idéologiques que scientifiques.
Jonathan Shedler a écrit de nombreux articles scientifiques et universitaires et, il est surtout reconnu pour avoir été l’auteur en 2010 de l’article que nous présentons ici : The efficacy of psychodynamic psychotherapy, paru dans The American Psychologist.
Cet article constitue un véritable coup de théâtre. En effet, les travaux et discours récents en psychologie avaient laissé filtré des idées selon lesquelles les approches psychodynamiques ne profitent pas de preuves scientifiques selon les critères de l’« evidence-based medicine » (EBM) pour attester de son efficacité, ce qui s’est souvent trouvé extrapolé et médiatisé au cours du temps par des déclarations sur la non efficacité voire la dangerosité des thérapies psychodynamiques. En France, le célèbre rapport de l’INSERM « Psychothérapie, trois approches évaluées » avait contribué au désaveu des psychothérapies psychodynamiques encensant dans le même temps les thérapies cognitives et comportementales (TCC) qui semblaient résister bien mieux aux formalisations méthodologiques visant à en tester l’efficacité.
Le cas de l’étude INSERM est à cet égard tout à fait enseignant du processus mis en oeuvre : si l’étude et ses conclusions sont tout à fait nuancées sur la question de l’efficacité des psychothérapies, sa reprise sur le plan médiatique tend davantage à mettre en avant « l’inefficacité » de la psychanalyse. La déformation est ici évidente, et c’est pourtant cette idée qui s’inscrira durablement dans l’opinion publique.
L’article de Shedler propose alors une revue systématique des résultats d’études indépendantes et éparses sur la question de l’efficacité des psychothérapies en général, et de la psychothérapie psychodynamique en particulier, suivant les principes méthodologiques, rigoureux, reproductibles et supportés par des outils statistiques puissants, de la « méta-analyse ». Revers (presque) inattendu alors par rapport à cette position hégémonique qui discréditait la discipline : Shedler conclut que les thérapies psychodynamiques sont au moins aussi efficaces que les autres thérapies et notamment les TCC, voire même, qu’elles présentent des résultats qui pourraient s’avérer plus durables dans le temps !
Qu’est-ce que la psychanalyse ?
Le terme de psychothérapie psychodynamique est couramment utilisé dans la littérature scientifique pour décrire les diverses formes de thérapies qui s’orientent du modèle théorique psychanalytique classique et de ses transformations modernes. Il existe ainsi une grande variété de thérapies, qui ont pour spécificités de s’appuyer sur des concepts du corpus psychanalytique avec par exemple les thérapies fondées sur la « mentalisation », les approches groupales, les thérapies psychodynamiques courtes, longues. À la différence de la « cure-type » freudienne, ces thérapies psychanalytiques modernes sont peuvent être plus courtes, aux occurrences moins fréquentes, mais continuent de viser l’exploration des versants non-connus de la vie psychique.
Dans son article, Shedler détaille 7 points clés permettant de comprendre les mécanismes mobilisés dans les thérapies psychanalytiques. Je ne les reprendrais pas ici car ils ont déjà été présentés dans un autre article de ce même blog.
Quid de l’efficacité de la psychanalyse ?
Il est une critique souvent adressée à la psychanalyse, qui consiste à affirmer que cette dernière ne dispose pas de preuves empiriques de son efficacité. L’argumentaire, lorsqu’il se veut renseigné et non dans la caricature de la psychanalyse, souligne que le manque de ressources, de travaux, et surtout le manque de rigueur méthodologique des quelques travaux existant, ne permettraient ainsi pas de fournir des preuves de l’efficacité de la psychanalyse Ainsi, il devient de plus en plus courant de lire dans les médias traditionnels ou plus spécialisés que la psychanalyse est inefficace, et que, de fait, elle relève d’une pseudo-science, de « charlatans ».
Sauf à méconnaitre complètement la méthode qui permet de parcourir les données fournies par la recherche (ce qui ne peut être reproché à quiconque n’est pas formé, ou informé sur le cadre de la recherche scientifique), une telle affirmation ne peut être sérieusement soutenue aujourd’hui.
En effet, nous allons le voir, de très nombreux travaux portent sur la question de l’évaluation de la psychanalyse, et ont cherché à mettre à l’épreuve son efficacité. Non seulement, ces travaux sont nombreux, mais en plus, ils sont synthétisés dans plusieurs méta-analyses, qui correspondent aux critères de rigueur scientifique les plus élevés possibles actuellement (Cf : Librairie Cochrane).
La taille d’effet : une mesure commune
Rappelons qu’une méta-analyse est une synthèse d’un ensemble d’essais contrôlés randomisés (ECR), à savoir, d’études rigoureuses portant sur plusieurs centaines de personnes, à minima, et dont la production permet d’affirmer ou d’infirmer une hypothèse, ici, l’efficacité d’un traitement.
Une méta-analyse regroupe alors les résultats de plusieurs ECR et les traduit en un langage commun, en unités de mesure commune qui permettra de les comparer. Ainsi, l’unité de mesure utilisée est appelée « taille d’effet ». Pour le sujet qui nous occupe, la taille d’effet nous renseigne sur la différence qui existe entre les mesures effectuées sur un groupe-contrôle (c’est-à-dire n’ayant pas reçu de traitement, ou ayant reçu le traitement minimal) et le groupe ayant reçu le traitement testé. La taille d’effet est donc un indicateur qui renseigne sur l’impact d’un facteur dans le phénomène mesuré, dans notre cas, c’est la donnée qui indique l’effet de la psychothérapie sur le processus de guérison, comparativement au groupe contrôle.
On distingue classiquement 3 catégories de tailles d’effet : Fort (au dessus de 0.8), qui indique que le traitement a un effet significativement supérieur à la situation contrôle, et permet donc de conclure à l’efficacité du traitement étudié ; Moyen (0.5) et Faible (0.2), qui indiquent davantage qu’il existe une faible différence entre les mesures effectuées entre le groupe contrôle et le groupe expérimental, ce qui revient à dire que le traitement produit peu ou pas de changement chez les sujets, comparativement aux sujets du groupe témoin qui n’ont pas reçu de traitement.
Méta-analyses et psychothérapies psychanalytiques : état des lieux
Les premières méta-analyses sur les psychothérapies en général portent sur de très nombreux ECR, puisqu’elles concernent plus de 400 études. Ainsi, assez tôt a été démontrée l’efficacité générale des psychothérapies, avec une taille d’effet de 0.85 pour les patients ayant reçu une psychothérapie, comparativement aux patient ayant reçu le traitement usuel.
Ce faisant, il a été question de démontrer l’efficacité distincte des différents types de psychothérapies. Ainsi, l’effet des thérapies cognitives et comportementales (TCC) n’est aujourd’hui pas contesté, et l’efficacité des thérapies psychodynamiques doit être réaffirmée à la lumière de la recherche actuelle.
En 2006, une méta-analyse de grande ampleur est proposée concernant les traitements psychodynamiques. Portant sur 23 ECR, cette étude compile donc des résultats obtenus auprès de 1431 patients porteurs de troubles psychopathologiques courants (dépression, troubles anxieux …). La taille d’effet recueillie est de 0.97 pour les mesures qui concernent le recul des symptômes liés à la psychopathologie. Ce résultats suggère que le traitement psychodynamique a été très efficace pour traiter les psychopathologies courantes des patients concernés. Cependant, cette étude présente également un autre point d’interêt : en effet, les mesures ont été renouvelées 9 mois après la fin du traitement psychodynamique, et la taille d’effet s’élève alors à 1.51. Ces éléments permettent de conclure, d’une part, en l’efficacité du traitement psychodynamique, mais également que ses effets se poursuivent durablement après la fin du traitement. Ces résultats corroborent les caractéristiques soulignées par Shedler : la psychanalyse a des effets de guérison, mais elle permet également au patient de se parer de ressources internes plus efficaces qui lui permettront, à long terme, de s’adapter davantage aux difficultés qu’il pourrait être amené à rencontrer.
Plusieurs autres méta-analyses publiées ultérieurement confirment les résultats dans ces deux directions et mettent en évidence que les traitements psychodynamiques — courts et longs — ont des effets positifs sur l’amélioration des symptômes, et favorisent l’intensification de ces résultats à long termes (avec des tailles d’effets forts) et leur renforcement. Par ailleurs, les méta-analyses qui comparent les traitements psychodynamiques et TCC concluent à des tailles d’effets supérieures à 1 dans les deux configuration, ce qui tend à montrer que les deux modèles de psychothérapies, malgré leurs divergences théoriques, ont des effets positifs comparables en nature et en intensité sur la santé mentale (dépression, anxiété, troubles panique, troubles alimentaires, troubles de la personnalité …).
Efficaces, et après ?
Les études de type méta-analyses semblent conduire à l’émergence du fameux « verdict du Dodo » (Dodo Bird Verdict), qui statue en faveur de l’efficacité de toutes les psychothérapies. En effet, la recherche sur les résultats des psychothérapies semble, encore aujourd’hui, soutenir l’idée selon laquelle les études qui concluent à la supériorité d’une méthode sur une autre sont davantage imputable à un effet de « l’allégeance du chercheur » (préférence du chercheur pour une théorie et la pratique qui en est dérivée) que de la nature de la psychothérapie.
Or, bien que les effets des psychothérapies puissent aujourd’hui être reconnus, indépendamment de leur modèle de référence, la recherche s’est orientée vers l’étude des mécanismes sous-jacents à l’apparition des effets. En effet, il s’agit maintenant pour les scientifiques d’étudier comment et pourquoi une psychothérapie fonctionne. Ces deux question n’ont pas encore trouvé de réponse définitive à ce jour, et tout un pan de la recherche développe des outils et des méthodes qui permettraient d’étudier précisément les mécanismes qui mènent aux changement en psychothérapie. On parle alors de « recherche sur les processus ».
Ces recherches ont ainsi mis en évidence les caractéristiques communes et spécifiques des différents types de psychothérapie. Nous avons aujourd’hui connaissance du prototype (ensemble des caractéristiques minimales) qui caractérise une TCC et de celui qui définit la méthode psychanalytique, et la recherche se poursuit en direction d’une identification de la manière dont les ingrédients de la psychothérapie, communs et différents, agissent et interagissent sur les résultats observés.
Les résultats les plus saisissants indiquent que, bien souvent, ces prototypes ne se repèrent pas dans la pratique clinique, car chaque clinicien possède un « style » particulier qui rend, dans de nombreux cas, difficilement identifiable la théorie de référence. Par ailleurs, plusieurs recherches indiquent qu’indépendamment du modèle, les thérapies les plus efficaces comporteraient un grand nombre de facteurs typiquement psychanalytiques, indépendamment du modèle auquel s’identifie le psychothérapeute. Ces éléments sont repérables à l’appui de mesures systématiques mais sont souvent ignorés des cliniciens eux-mêmes, qui croient exercer selon leur modèle de référence, alors que de nombreux processus qui sous-tendent leurs pratiques sont au coeur des modélisations théoriques psychanalytiques. Les oppositions entre praticiens sont ainsi davantage des oppositions intellectuelles et théoriques, là encore effets d’allégeance à un groupe et une obédience, plus que des confrontations sur ce qui est fait dans la pratique.
En conclusion
Pour Shedler, il n’est plus défendable aujourd’hui de dénier l’efficacité des thérapies psychanalytiques. En effet, alors que certains universitaires font persister cette idée, au nom de l’approche basée sur la preuve, c’est via cette même approche que de nombreuses preuves de l’efficacité de la psychanalyse sont très fréquemment apportées. Les tailles d’effets misent en exergue dans les méta-analyses sont au moins aussi grandes que celles retrouvées pour les TCC, supportées empiriquement, et permettent donc d’affirmer qu’elle favorisent des processus de guérison, l’amélioration de l’état de la santé mentale des patients, et ce de manière durable dans le temps.
Ainsi, bien que les psychanalystes aient pu faire l’objet de critiques, qui se sont généralisées à l’ensemble de la méthode psychothérapeutique et du corpus théorique, ces recherches rappellent que les praticiens restent dissociables de l’approche dont ils se revendiquent et que, malgré la présence d’individus malintentionnés, la méthode continue de produire des effets. Il peut donc être reproché un certain dogmatisme à nombre de praticiens psychanalystes, mais le fait est que la démarche dogmatique, rigide et l’insensibilité ont également pu être observés au sein d’autres approches théoriques. En effet, nous ne disposons, à ce jour, pas encore d’étude qui permettrait de déterminer qu’une école spécifique détient le monopole du dogmatisme. Pour conclure, il y a à retenir de cet article (soutenu par de nombreux autres) qu’à l’instar de ce que souligne l’American Psychological Association(APA) en 2013, les psychothérapies sont globalement d’une grande efficacité et que les différences entre-elles sont relativement peu significatives. Il conviendrait ainsi peut-être de troquer les débats inutiles qui chercheraient à soutenir par les chiffres (principalement par le nombre de publication, seul indicateur d’une supériorité d’une approche sur une autre) une exclusion de méthodes de soin psychiques et l’affirmation de la supériorité d’autres, contre la recherche et l’approfondissement de ce que Shedler nomme les « facteurs communs » et « facteurs spécifiques » qui définissent les ingrédients présents dans les TCC comme dans les thérapies psychodynamiques, ainsi que les ingrédients qui les différencient, afin d’accroitre encore les résultats bénéfiques auxquels les personnes qui viennent en psychothérapie peuvent prétendre.
Cet article, s’il constitue aujourd’hui l’une des études empiriques les plus complète comparant les principales approches thérapeutiques utilisées de nos jours, n’est cependant pas un acte de recherche isolé. Avant et après Shedler, de nombreux chercheurs se sont attelés à explorer la question de l’efficacité de la psychanalyse, et sa légitimité en tant que proposition de soin. En France, récemment, Thomas Rabeyron a publié un texte s’inscrivant dans la continuité de celui de Shedler, mettant à jour ces données à l’aune des recherches produites entre 2010 et 2020.
Je laisse à disposition du lecteur une bibliographie qui lui permettra de poursuivre la reflexion sur ce sujet.
Bibliographie
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Gonon, F., & Keller, P. H. (2020). L’efficacité des psychothérapies inspirées par la psychanalyse: une revue systématique de la littérature scientifique récente. L’Encéphale. In press.
Leichsenrig, F., Steinert, C. (2017). Is cognitive behavioral therapy the gold standard for psychotherapy ? Yhe need for plurality in treatment and research. Journal of American medical association, 318, 1323-1324.
Rabeyron, T. (2020). L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse. L’Évolution Psychiatrique.
Shedler, J. (2010). The efficacy of psychodynamic psychotherapy. American psychological association, 65, 98-109.
Thurin, J. M. (2016). Est-il nécessaire (et possible) d’établir un nouveau système de preuve en psychiatrie pour les psychothérapies et les interventions complexes?. PSN, 14(1), 29-51.
Thurin, J. (2021). Apport des psychanalystes dans l’évaluation et la recherche en psychothérapie d’orientation psychanalytique menée en conditions naturelles avec des patients autistes. Dans : Patrick Landman éd., Ce que les psychanalystes apportent aux personnes autistes (pp. 229-248). Toulouse: Érès.
Visentini, G. (2021). L’efficacité de la psychanalyse. Un siècle de controverses. Presses Universitaires de France.